Racisme, des origines à nos jours !

Le racisme n’est pas une nouvelle injustice : ses racines remontent à une époque lointaine de l’histoire et apparaissent, aux temps modernes, comme un problème majeur dans les sociétés industrielles dominées par la question des inégalités sociales. Or, sans que les inégalités et les injustices économiques et sociales s’affaiblissent, au contraire même, le thème du racisme s’est progressivement imposé dans l’agenda politique et social des sociétés démocratiques. On peut se féliciter de cette émergence qui procède de l’élargissement du cercle de l’égalité ; en effet, pour protester contre le racisme que l’on subit, il faut d’abord se définir comme l’égal de tous et penser que les discriminations raciales ne sont pas tolérables. La crise de la représentation démocratique ne doit pas être réduite à celle de la représentation des citoyens et, plus largement, des divers groupes sociaux. Elle est aussi la difficulté et de représenter et de porter divers problèmes dont, aujourd’hui, celui de la reconnaissance de la diversité raciale dans des sociétés nationales qui perdent leur homogénéité.

De la notion de racisme…
La notion de «racisme» renverrait aux traits de «pureté» et de «supériorité», qui, conjointement, caractérisent la théorie sur laquelle s’appuie la pratique. En outre, la «supériorité» d’une race sur l’autre, ou d’une race sur toutes les autres, renverrait à une hiérarchie culturelle autant que raciale, les deux se confondant dans le racisme. Les arguments avancés par le sens commun à l’encontre du racisme témoignent de cette même conception: les «races pures» n’existent pas (ou plus…) et des «cultures différentes» sont d’égale valeur. Le racisme, tel qu’énoncé historiquement par l’hitlérisme, est donc non fondé scientifiquement.
Mais le racisme, idéologie ou croyance, pourtant si évident en apparence, devient vite une énigme dès que l’on cherche à établir une certaine unité à travers les analyses qu’en ont proposé les grands auteurs, leur contenu pouvant même apparaître comme parfaitement contradictoire. Dans un texte encyclopédique, De Coppet caractérise les conceptualisations du racisme selon qu’elles réfèrent, en tant qu’«attitude fondamentale», à la «pureté de la race» ou à la «hiérarchie» (c’est-à-dire à la notion de «supériorité»). Selon lui, ces deux voies d’interprétation conceptuelle du racisme soutiennent des logiques parallèles, bien que le «résultat» du racisme soit dans les deux cas le même, soit, selon les termes de l’auteur, «la violence faite à l’Autre».
D’emblée, les interprétations conceptuelles du racisme réfèrent à l’idéologie de la modernité dont la visée centrale est l’émancipation des individus et des peuples à l’encontre de la tradition, inégalitariste et autoritariste. Cependant, la pensée moderne contemporaine n’est pas monolithique.
D’une part, le modernisme, fondé sur le postulat de l’unicité ontologique de l’homme, projette l’égalité qui en découle dans l’universel. La pensée universaliste moderne en appelle donc de façon incontournable à l’égalité de droit.
Mais d’autre part, les premiers travaux ethnologiques du début du siècle introduisent une rupture dans la pensée universaliste. D’après ces travaux, les rites et les pratiques des peuples dits «primitifs» se révèlent parfaitement logiques, alors qu’ils semblaient jusque-là totalement dénués de sens aux observateurs occidentaux. Il n’y aurait donc pas «une» logique universelle, mais «des» logiques différentes qui seraient «culturelles» et en tant que telles, d’égale valeur. Cette vision «relativiste» du monde remet en question le dogme occidental de l’unicité de l’homme: l’homme n’est pas unique mais divers. Il en découle une vision de la différence opposée à celle de l’universalisme.
Selon la logique universaliste, la «race» est une notion construite et non une réalité. Le racisme l’élabore à partir d’une différence, physique ou autre, réelle ou inventée, mais dans tous les cas déclarée naturelle et par conséquent incontournable. D’où la nature biologique attribuée par le racisme à la différence, laquelle serait dès lors incarnée dans une lignée, c’est-à-dire transmise par «le sang». D’où également la surdétermination des traits individuels par la race. Chaque race serait donc un «tout organique» et complet, ce qui suppose, selon certains auteurs, que des races différentes n’ont pas de commune mesure, car leur différence serait absolue. Procédant d’une naturalisation, d’une globalisation et d’une absolutisation de la différence, la race aurait pour effet direct (et visé) de déréaliser l’individu. Sans cette marque raciale, à la fois nécessité biologique et obligation morale, l’individu serait rendu à son autonomie: à toutes fins pratiques, la race disparaîtrait, et avec elle le racisme.
Ainsi, première opération nécessaire à l’émergence du racisme consiste à observer ou à inventer un comportement ou un trait quelconque, puis à l’assimiler à une «appartenance», pour ensuite globaliser cette appartenance par recours à un argument biologique (c’est-à-dire à la lignée). Cette façon de voir, où le recours au biologique est indirect, permet d’étendre le racisme au colonialisme tel que pratiqué par les Européens en Afrique et en Asie, voire de faire de celui-ci l’exemple-type du racisme. Le racisme alors se présente comme une donnée culturelle, sociale et historique. Il se constitue à travers un processus mental d’imputation à un minoritaire d’une caractéristique «naturelle» qui prédéterminerait sa situation de minoritaire. Car pour le racisme il ne s’agit que d’une seule et même chose, de tout temps vérifiable: rendre les inégalités naturelles, afin de les justifier.
Selon l’antiracisme, la première opération raciste consiste à nier l’universel, soit un au-delà des différences entre les êtres ou entre les cultures. La négation de l’universel s’exprime comme rejet de l’abstrait, de «ce qui n’est pas»: les «races» deviennent alors l’«évidence» concrète «observable» d’une différence entre les types d’humains qu’elles définissent et auxquels les individus sont prédéterminés à appartenir.
La deuxième opération de racisation consiste alors à rendre permanents ces types. Mais en postulant permanents les types d’appartenance, le raciste déplace le schème de l’individuel vers la communauté. La communauté, «redéfinie comme le seul véritable individu», comme «grand organisme individué», en bref comme «communauté organique», devient donc par analogie, l’unité première d’un ordre «supra-individuel» fondant un ordre universel anthropologique.

Jusqu’à ses origines.
La réification de la race provient, historiquement, de la polémique entre pro-esclavagistes et abolitionnistes à la fin du siècle dernier. Les deux camps ont alors comme postulat commun de concevoir la race comme une réalité «naturelle». D’où, à leurs yeux, la naturalité de la classification raciale des acteurs et des relations sociales. Cette conception naturaliste des races fonde les pensées pro-esclavagiste et abolitionniste, reconduites dans le racisme et l’antiracisme actuels aux États-Unis.
Selon la variante esclavagiste les races expliqueraient les «différences de comportement». Les écrits pro-esclavagistes fourmillent en effet de références à l’infériorité des Noirs («Negroes»), dont témoignerait leur «comportement», de «toute évidence» très éloigné du comportement «blanc». La théorie raciale avancée par les pro-esclavagistes utilise donc comme argument la hiérarchie raciale. Les abolitionnistes s’en prennent alors à cet argument en prônant l’égalité entre «les races». Ils conservent cependant en tant qu’évidence la notion de «race», se déclarant mouvement de défense des «Noirs» ou de la «race africaine». Cette erreur fondamentale et le refus subséquent de la reconnaître auront entraîné la réification de la notion de race et le maintien du racisme aux États-Unis depuis plus d’un siècle.

Vers de nouveaux paradigmes pour un monde meilleur
Une fois admis le fait que les questions raciales sont un scandale moral dans les sociétés qui se veulent démocratiques, il reste à comprendre ce qu’elles changent dans nos conceptions de la vie sociale et de la justice par rapport au modèle « classique » des inégalités de classes, de l’exploitation et de la redistribution qu’il implique. On doit essayer de mettre en évidence ce que les discriminations ont de spécifique, à la fois pour les individus qui les subissent et pour les sociétés qui veulent les combattre. Il faut saisir ensemble les épreuves individuelles et les enjeux collectifs, les effets des discriminations sur les sociétés et sur leur système politique. De la même manière que la question sociale a bousculé l’ordre politique au xixe siècle, nous pouvons affirmer que le problème des discriminations transforme les représentations et les imaginaires de nos sociétés démocratiques.
Certaines des solutions proposées par les mouvements de revendication à l’égalité de fait sont passées au domaine institutionnel. D’autres, portées par des mouvements politiques issus du vaste mouvement de revendication identitaire qui a pour ainsi dire balayé le monde occidental et l’Afrique-Asie dans la foulée du processus de décolonisation dans les années 60, sont restées dans ces mouvements qui, aux États-Unis, se renouvellent à travers les générations depuis les années.
Ces recherches d’alternatives ont connu un long cheminement. Déjà aux Etats-Unis, nous assistons depuis le siècle dernier à la création de puissants mouvements de lutte contre les ségrégations raciales parmi lesquels les Black Power. Ce mouvement a fait, en effet, intervenir la séparation racio-institutionnelle comme moyen incontournable d’atteinte de l’égalité, non pas individuelle, mais entre les deux groupes-races en présence (les Américains blancs et les Afro-américains). Il en revient ainsi à une prescription de séparation raciale stricte en blâmant explicitement la classe moyenne noire qui adhère aux valeurs d’égalité et de réussite individuelle prêchées par les blancs et leurs institutions racistes. Seule la prise de pouvoir par l’instauration d’institutions séparées pourra assurer à la communauté afro-américaine la permanence de ses propres valeurs et le plein épanouissement de sa culture. Quant à l’égalité de droits, bien qu’elle ait été dans un premier temps revendiquée par le mouvement pour les droits civils, elle est vue par le Black Power comme une stratégie de récupération des revendications de la population noire à l’égalité réelle, doublée d’une assimilation qui risque de détruire et de dévaloriser davantage l’identité noire.
Depuis 2013, est né également un autre mouvement de revendication pour une égalité des peuples et des races aux Etats-Unis : le Black Lives Matter. Le mouvement Black Lives Matter est lancé par trois femmes afro-américaines : Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi, cette dernière dirige à New York un groupe de défense des droits des immigrants : Black Alliance for Just Immigration.
Avant d’être un mouvement Black Lives Matter était un hashtag utilisé sur les réseaux sociaux. Depuis 2013, le mouvement ne cesse de faire parler de lui. La raison : les nombreux meurtres d’afro-américains. Aujourd’hui ce slogan est devenu l’un des plus influents dans la défense des droits civiques.
Le 13 juillet 2013, l’activiste Alicia Garza écrit un billet d’humeur suite à l’acquittement de George Zimmerman, soupçonné d’avoir tué Trayvon Martin, un afro-américain de 17 ans. A la fin de son billet, elle écrit : « Personnes noires. Je vous aime. Je nous aime. Nos vies comptent ». Une autre femme, Patrisse Cullors lui répond : « Black Lives Matter » (« Les vies noires comptent »). Le mouvement est lancé avec l’aide d’Opal Tometi, leader d’un autre groupe de défense des droits des immigrants.

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